Pourquoi le corps des femmes fait-il l’objet de tant de jugements, de critiques et d’injonctions?
Parce qu’il est dominé par les hommes. Il semblerait qu’il ne puisse exister pour la société qu’à travers les hommes, qu’à travers leur regard et leurs désirs.
Nos corps nous ont été volés, dérobés pour mieux les posséder, arrachés pour mieux les contrôler et confisqués pour mieux les dominer. Les hommes décident des proportions qu’ils doivent avoir, ils leur imposent des normes de comportements, des normes sexuelles, d’attitudes, d’habitudes et de gestuelles. La société hétérosexiste a fait de nos corps des objets. Des objets soumis, en souffrance et victimes de discriminations lorsqu’ils ne répondent ni aux normes ni aux cases assignées. Les hommes se sont auto-octroyés le droit et la légitimité de faire de nos corps des biens de propriété.
Mais où est donc passé le droit à disposer de nous-mêmes et de nos propres corps ?
Tant de débats juridiques et politiques portés par des hommes pour décider de ce que les femmes devraient faire de leur corps. Jusqu’à décider des parcelles de nos corps que nous aurions le droit ou non de montrer et d’exhiber en public.
Mais ces choix ne devraient-ils pas revenir aux principales concernées Messieurs ? Comment justifiez-vous ce vol de notre intimité ? Cette exploitation de nos corps ?
La réponse est si simple qu’elle en est presque absurde : Les valeurs républicaines bien sûr. Encore et toujours les bonnes vieilles valeurs républicaines.
En 2016, c’était le burkini qui n’était pas compatible avec « les valeurs de la France et de la République ». Notre ancien premier ministre Manuel Valls s’était empressé de nous l’expliquer :
«Marianne, le symbole de la République, elle a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple, elle n’est pas voilée parce qu’elle est libre. C’est ça, la République.»
Rire ou pleurer d’un Manuel Valls qui nous explique ce que c’est que d’être une « femme libre » ?
Ces propos, au delà d’être profondément islamophobes, témoignent d’un réel problème dans la conception de la laicité en France. La laïcité se définit par la liberté d’expression de ses cultes et de ses croyances accompagnée d’une impartialité et d’une neutralité totale de l’Etat envers toutes les religions. Curieux, elle n’est pas synonyme de discrimination et d’islamophobie. Derrière ces glorieuses valeurs républicaines soit disant neutres, objectives et justes se cache une sombre réalité: une République bien blanche, bien catholique, bien bourgeoise et bien masculine.
Mais le problème ne relève pas seulement du caractère islamophobe de cette interdiction du port du burkini, il relève également de la main mise sur le corps des femmes et de la confiscation de leur droit à en disposer librement.
Quelques années plus tard, en 2020, c’est au tour de notre ministre de l’Education nationale Monsieur Blanquer de nous expliquer sa vision des valeurs républicaines en exigeant le port d’une « tenue républicaine » aux collégiennes et aux lycéennes. En faisant cela, il n’a fait autre que renforcer un système de contrôle des corps des filles et des femmes. Cette réutilisation des valeurs républicaines permet tout simplement d’imposer un code vestimentaire aux jeunes filles, leur empêcher à tous prix d’exposer un peu trop leur peau. Cette notion de « tenue républicaine » n’est rien de plus qu’une stratégie d’euphémisation du discours qui permet de défendre la main mise du patriarcat sur le corps des femmes de manière déguisée.
Les femmes se doivent de s’habiller décemment non ? Mais de là à porter un burkini sur la plage n’abusons pas.
Il s’agit ni plus ni moins d’une domination masculiniste des corps.
« Marianne….le symbole de la République…a le sein nu…. elle est libre »
Mais de quelle liberté parlons-nous ? Quoi qu’il en soit, le corps des femmes n’est pas libre. Quel vicieux paradoxe que l’utilisation de la notion de « valeurs républicaines» pour pouvoir à la fois, empêcher les femmes de se couvrir et à la fois leur empêcher de trop se dénuder. On fera dire ce qu’on veut aux valeurs républicaines. On leur fera dire tout ce qui arrange le pouvoir en place, tout ce qui fera perdurer le système hétérosexiste, patriarcal et haineux. La main mise sur le corps des femmes n’est même plus à justifier, ce sont nos belles valeurs républicaines qui s’en chargent. Elles ne sont rien de plus qu’un outil stratégique à la langue de bois politique.
Le corps des femmes sera toujours à la fois trop couvert et pas assez. Il sera toujours à la fois trop maigre et trop gros, trop vulgaire et trop frigide, trop superficiel et trop naturel…
Il n’y a jamais de bonne manière d’être femme. Ce n’est soit jamais assez soit toujours trop, sans cesse entre hystérie et passivité, les femmes sont vouées à n’être que d’imparfaites erreurs de la nature dans l’imaginaire collectif.
Cette culpabilisation du corps féminin ne cessera-t’elle donc jamais ? La contrainte faite aux femmes est immense : celle de ne pas disposer de leur propre corps et surtout de ne pas avoir le droit de l’habiter comme elles le souhaitent, sans complexes et sans culpabilisation.
Quand est-ce que la mysogynie cessera-t’elle de se cacher derrière ces fausses « valeurs républicaines » ?
Alors comment se réappropier nos corps?
Vivons nos corps de la manière la plus intime et la plus décomplexée qu’il soit. Vivons nos corps en exposant toutes nos convictions quelles qu’elles soient, sans qu’aucun homme, qu’aucune instance de pouvoir ou qu’aucune norme sociale ne nous en empêchent.
Faisons un gros fuck collectif à tous ceux qui nous volent nos corps, nos droits et nos libertés.
Illustration :
Cette photo a été prise une nuit, dans les rues de Dijon, avec une amie qui m’est très chère. Nous évoquions la sexualisation du corps des femmes et nous regrettions le fait de ne pas pouvoir dénuder nos torses, nos poitrines, nos seins, au même titre que les hommes, sans être taxées de Femen vulgaires, d’hystériques, de putes ou de salopes.
Puis, nous nous sommes regardées un instant, droit dans les yeux, et Valentine m’a dit :
« Mais qu’est-ce qui nous en empêche ? »
Très probablement les normes, les conventions, les jugements, les critiques et les machos de merde. Tout ce que j’ai cité plus haut finalement. Mais a part ça?
Plus grand chose maintenant qu’on a tout balayé.
Alors simultanément, nous avons ôté nos hauts et nous nous sommes baladées seins nus dans les rues de Dijon. Pas pour être en accord avec Manuel Valls ni pour faire honneur aux valeurs républicaines, mais tout simplement pour faire exactement ce qu’on avait envie de faire à cet instant T : sentir ce léger vent d’une nuit d’été caresser nos tétons, libres et sans complexes.
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