Votre fille est lesbienne
Ce texte est un témoignage personnel.
« Votre fille est lesbienne ».
C’est comme ça que l’on m’a volé mon « coming out » : un bout de papier avec ces quatre mots griffonés dessus, déposé dans le casier de mon père à la salle des proffesseurs. J’avais 15 ans et il était enseignant d’histoire-géo dans mon lycée.
« Coming out ». Finalement je déteste ce terme. Personne ne devrait avoir à « sortir du placard ».Et d’ailleurs aucune personne LGBTQIA+ ne sort de ce foutu placard, ce sont tous les autres qui y sont emprisonnés. Les hétéros n’ont pas à annnocer leur orientation sexuelle au reste du monde, et encore moins à passer un sale quart d’heure après.
Enfin, si seulement ce n’était qu’un seul petit quart d’heure. Mais non, cette société a décidé que lorsqu’on avait le malheur de ne pas être hétéro, notre orientation sexuelle devait entièrement définir notre identité, nous constituer comme être marginal ou encore malade voire dangereux.
Quelques jours plus tard, je suis convoquée avec Elodie chez le directeur. Des parents d’élèves se sont plaint d’un couple de lesbiennes au lycée, c’est inacceptable. Vous comprenez, c’est un établissement de renom tout de même, un lycée français à l’étranger, son prestige doit perdurer et sa réputation ne doit en aucun cas être salie. Surtout pas salie par deux lesbiennes.
Le proviseur nous explique qu’il faut faire profil bas. Nous n’avons pas le droit de nous « afficher en public ». Nous devons être amies rien de plus, notre relation doit être platonique, en tous cas c’est ce que les professeurs, les élèves et les parents doivent croire coûte que coûte. Nous ne nous étions pourtant jamais « affiché » dans l’enceinte du lycée, mais les rumeurs courent vite et le bouche à oreille est féroce.
Une question me brulait les lèvres : « Mais Monsieur, pour les autres couples, ceux qui sont hétéros, c’est la même politique ? »
Mais je connaissais la réponse. Depuis la 3e les couples hétéros se galochent à la vu de tous dans les couloirs et pendant la récréation. Curieux, aucun parent ne s’est jamais plaint de cette « indécence » là.
Voyons, c’est normal, il n’y a que ce qui est « contre-nature » qui puisse gêner.
Mais j’ai fermé ma gueule devant le proviseur. Je n’ai rien demandé, je n’ai rien dit. Papa est prof au lycée et il en va aussi de son travail.
Le lendemain, c’était à son tour d’être convoqué chez le proviseur. Il fallait bien le mandater pour jouer les flics. Il fallait être sûr que sa fille lesbienne n’allait pas troubler l’ordre public. Le proviseur a donc veillé à ce que le patriarche garde un œil sur moi. Pas de vagues, pas de dégats, pas de parents mécontents et le lycée ne s’en portera que mieux.
Etonnant, ma mère était documentaliste dans ce même lycée mais elle n’a pas été convoquée. Etablissement lesbophobe avec une bonne couche de sexisme en bonus sinon ce n’est pas drôle. C’est bien au père de jouer les gros durs et de veiller à ce que tout soit en ordre dans sa propre famille non?
Je me souviendrai toujours de ce trajet retour du lycée en voiture avec mon père.
« Bon Morgane, j’ai été convoqué chez le proviseur, je suis désolé mais il va falloir que vous soyez discrètes ».
Transparentes aurait été un terme plus approprié.
En plus de me voler la liberté d’annoner ou non à ma propre famille mon orientation sexuelle, ils m’ont volé le droit d’être en couple, tout simplement. Notre droit d’être un couple « normal ».
Eceurant de voir les hétéros se rouler des pêles sous nos yeux. Ecoeurant d’entendre des « sales lesbiennes » à la volée dans les couloirs et entre deux heures de cours.
Je n’ai jamais su qui s’était permis de mettre à nue ma vie personnelle devant mon propre père. Une intimité que je n’étais d’ailleurs même pas dans l’obligation de dévoiler à quique ce soit. Mais au fond, le problème n’est pas vraiment là. Le pire n’est pas qu’on ait annoncé une partie de ma vie intime à mon père sans mon consentement. La gravité de la situation réside dans le fait qu’on ait décidé qu’il fallait à tout prix l’annoncer ou plutôt le « dénoncer ». Qu’on ait considéré qu’il s’agissait d’une information assez « grave » ou assez « anormale » pour se permettre d’interférer dans ma relation privée avec mon père et de dévoiler une réalité trop dérangeante pour cet établissement.
Heureusement, je suis née dans une famille tolérante et aimante. Les choses auraient pu être très différentes. Et cette personne aurait pu jouer avec ma vie. Littéralement. Parce que c’est bien leur vie que risquent les personnes LGBTQIA+ en sortant de ce fameux « placard » ou même en se tenant la main dans la rue.
Le 17 mai 1990, l’OMS décidait que l’homosexualité n’était plus une maladie mentale. Et pourtant, près de 70 pays érigent toujours en délit les relations homosexuelles. Dans 9 d’entre eux, elles sont passives de peine de mort. Et en France, les agressions et les crimes homophobes sont monnaie courante.
Le carcan de l’hétéornormativité est violent, l’injonction à la virilité puissante et la norme hétérosexuelle sévère et dévastatrice.
J’ignore si je suis bisexuelle, hétérosexuelle, lesbienne, pansexuelle ou queer. Je n’ai jamais trop réussi à m’auto-définir et je ne souhaite pas le faire. Je ne pense pas que des cases ou des catégories nous soient réellement destinées, en tous cas pas celles que la société a prévu pour nous. Et c’est tant mieux.
Mais ce que je sais, c’est que je fais l’amour avec qui bon me semble. Oui, ce que je sais par dessus tout, c’est que ma liberté réside dans ma capacité à aimer absolument qui je veux.
Parce que notre amour est plus fort que votre haine.
Je dédie ce texte à Elodie. Cette fille que j’ai aimé fièrement
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