Attends

Ce texte est un témoignage fictif.

Je lui avais demandé d’attendre. Je le lui avait répété à trois reprises :

« Attends, attends, attends… ».

Mais il a continué. Il a continué à ôter mes vêtements. D’abord mon t-shirt, ensuite mon pantalon, puis ma culotte…

« Attends, attends, attends… ».

Ces mots ont hanté mon esprit durant des années. Pourquoi ce mot là ? Pourquoi pas arrête ou stop ? M’aurait-il écouté si j’avais fait l’usage d’un autre mot ? Aurait-il arrêté si j’avais dit autre chose? Ce mot me paraissait pourtant clair. Je n’étais pas à l’aise, je n’étais pas prête, je n’avais pas envie. Je lui avait signifié en allant chez lui qu’il ne se passerait rien, mais visiblement, cela n’a pas servi à grand chose. A peine passé le pallier, je n’avais déjà plus mon haut, puis, plus de soutien-gorge, et après, la dégringolade…

Beaucoup de flou dans mes souvenirs, des souvenirs trop douloureux.

Juste ce mot, répété trois fois d’affilé:

« Attends, attends, attends »

Il me martèle encore et toujours le crâne.

Était-ce de ma faute ? J’aurais sûrement dû être plus claire, le repousser physiquement, lui dire tout sauf ce que j’ai dit. Tout sauf « attends »…. L’ai-je même dit assez fort ? Peut-être ne m’a-t-il pas entendu? Oui il me semble que je ne l’ai pas dit assez fort, ça doit être cela… Mais pourtant, je le revois enlever ma culotte tout en m’écoutant dire, au même moment exactement :

« Attends, attends, attends…. »

Ah… La puissance d’un mot. La puissance d’un mot qui paraît pourtant si insignifiant, si petit, si ridicule. Un mot peut détruire. Il peut nous ronger, nous hanter, nous manger. Je ne m’en étais encore jamais trop rendu compte jusque là, de l’impact des mots, de l’impact d’un seul petit mot.

Ce soir là, ce mot aurait dû tout changer. Mais il ne m’a servi à rien, il ne m’a pas sauvé, il était invisible, inefficace, transparent, muet. Un mot muet. Voila ce que c’était. Comme dans un cauchemar ou on crie mais qu’il n’y a aucun son qui sort. Un mot d’une faiblesse extrême lorsqu’on en a besoin, et d’une force inouïe lorsqu’il s’agit de le regretter, de le haïr, de vouloir le remplacer…

Pourquoi avais-je dû dormir avec ma sœur pendant la semaine entière qui a suivi les évènements ? Aucune idée, mais sûrement pas parce que c’était un viol. Non je n’étais pas traumatisée, simplement un peu angoissée. Non, je n’ai pas été violée. Je n’ai juste pas été assez claire, c’était un moment d’incompréhension entre deux personnes, rien de plus, rien de moins.

« Attends, attends, attends ». Encore et toujours ce même mot en boucle dans ma tête.

Mais non, il ne m’a pas écouté. Il n’a pas attendu.

Deux ans plus tard, l’hécatombe, la prise de conscience : Oui, Il m’a violé. Il a violé mon intimité, mon corps, mon être. Mais ça, il aura fallu 24 mois pour m’en rendre compte. Les mécanismes d’auto-culpabilisation et de dissociation sont puissants. Si puissants qu’ils nous cachent la vérité. Et parfois, il suffit de lire un témoignage, similaire à celui que l’on a vécu, pour qu’elle éclate enfin au grand jour. A ce moment là, on aurait préféré que jamais elle n’éclate, on aurait préféré ne jamais comprendre, ne jamais se confronter à cette souffrance, rester dans le déni pour toujours, car c’est tellement plus confortable.

Lorsque l’on parle de consentement dans le droit, en politique ou encore dans la presse, certains mots reviennent assez souvent : le fameux NON, le fameux ARRETE, mais on évoque rarement celui-ci :  Attends . Et pourtant, il peut faire partie des réflexes, des mots qui brisent la paralysie du corps, des mots qui nous viennent spontanément. Le consentement n’est ni une notion obscure, ni difficile à comprendre, ni floue. Il s’agit simplement d’écoute. Ecouter la personne en face. Mais il ne s’agit pas seulement d’écouter ses paroles, ses mots, ce qu’elle dit, mais aussi d’écouter son corps. Un corps qui ne répond pas est un corps qui n’est pas consentant. Un corps qui se crispe, un visage qui se ferme, une absence de mouvements, une fuite du regard.. Tous ces gestes doivent être observés et écoutés. Pourquoi ne pas rendre le consentement oral ? Pourquoi ne pas le demander à son ou sa partenaire à travers les mots, la parole ? C’est pourtant tout simple, tout bête. Et ça aurait le pouvoir d’éviter des années de culpabilisation, de dégout, de déni et de souffrance…

Mais non, ça casse l’ambiance tu comprends pas?

A toutes les femmes qui ont demandé d’attendre, nous vous entendons, nous vous croyons.

A tous les hommes qui n’ont pas écouté, qui n’ont pas attendu, qui n’ont pas arrêté, vous avez violé.

L’illustration de cette article a été réalisée par Les maux bleus.

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer