Retour sur une polémique transphobe
J’ai rarement lu un texte aussi violent. Un texte aussi discriminant, humiliant et déshumanisant. L’élément déclencheur de cette avalanche de haine transphobe dans les médias, sur les réseaux sociaux et au sein même de l’Assemblée Nationale ?
Une affiche du Planning Familial illustrant un homme enceint avec l’inscription suivante:
« Au Planning familial, nous savons que les hommes aussi peuvent être enceints »
Rien de très surprenant si on s’intéresse un peu au sujet : Oui en effet, les hommes trans peuvent pour certains être enceints s’ils conservent leur appareil reproducteur. Cela est déjà arrivé à plusieurs reprises en France. Des cas qui ne sont d’ailleurs pas passés inaperçus au vu du flou juridique qui entoure la parentalité trans en France.
Mais malheureusement, cette affiche est loin d’être passée inaperçue. Elle a déclenché un sursaut transphobe chez quelques « féministes » (si toutefois il est encore possible de leur décerner ce titre), notamment la très connue et très controversée Dora Moutot (créatrice du compte @tasjoui) ainsi que Marguerite Stern (créatrice du mouvement Collage féminicides). Elles ont toutes les deux pris l’initiative d’adresser une tribune publiée dans Marianne (évidemment…) à l’attention de la première ministre, avertissant sur le danger de la « dérive transactiviste » du Planning Familial. Cette dangereuse idéologie se serait développée au sein de l’associaiton au détriment de la santé sexuelle des femmes. La tribune ne fait pas référence aux personnes trans mais aux « femelles transidentifiées », terme volontairement utilisé pour discréditer et invalider les personnes trans.
La première partie de la tribune est consacrée à la thématique préférée des TERFS (trans-exclusionary radical feminist) : la biologie, bien évidemment !
Le Planning Familial ferait passer « la biologie au second plan ». Décortiquons un peu tout cela :
« Seules les femmes, c’est-à-dire les femelles adultes humaines peuvent être enceintes (..) affirmer le contraire est scientifiquement parlant un mensonge ».
Les femmes seraient donc exclusivement des « femelles adultes humaines ». L’identité femme se réduirait donc au terme de « femelle », c’est-à-dire à un mammifère, un utérus, un vagin?
« Nous considéreons que ce qui nous relie toutes c’est notre sexe »
« Nous pensons que le mot femme doit continuer de représenter notre sexuation, c’est-à-dire le sexe femelle »
Il faut croire que défendre la prédominance de la biologie dans la définition du terme de femme se résume à mettre en avant un appareil reproducteur. Il s’agit là de théories biologisantes et essentialisantes de la différence des sexes.
N’est-il pas totalement paradoxal de défendre le fait de ne pas réduire les femmes à un sexe, ou à un « vagin sur pattes » (terme qu’elles utilisent elles-même dans leur tribune), et à la fois de défendre des théories naturalisantes du sexe ?
Le Planning Familial dans cette tribune a notamment été incendié pour avoir donné dans son lexique la définition du sexe comme « construit social », à juste titre.
En effet, la binarité de l’identité sexuelle est, elle aussi, une construction sociale. Et je ne me base pas ici uniquement sur des théoricien.nes philosophes et sociologues constructivistes (Foucault, Butler et autres..) qui ne sont clairement pas les bienvenues en cette période anti-wokistes et anti-déconstruction (RIP Derrida).
Non, tenez-vous bien, je me base sur des biologistes féministes qui elles aussi ont démontré que cette binarité du sexe n’existait pas, ou en tous cas n’existait que parce que le pouvoir médical en a décidé ainsi.
La plus connue de ces biologistes est très certainement Anne-Fausto-Sterling. Dans son ouvrage Les 5 sexes. Pourquoi mâle et femelle ne sont aps suffisants, elle nous explique qu’il y a des personnes intersexes qui naissent avec des caractéristiques à la fois féminines et masculines. Il existe une infinité de types d’interxuations différentes, et donc de ce fait une infinité de sexes biologiques différents. Et contrairement à ce que le pouvoir médical à essayé de nous faire croire durant des siècles, l’intersexuation n’est ni une anomalie, ni une déformation, ni une pathologie nécessitant des opérations de « conformation » et de « normalisation » hétérosexiste des corps (encore perpétrées aujourd’hui en France et dénoncées plusieurs fois par l’ONU comme « actes de torture »).
Nombreuses études scientifiques ont déjà montré que beaucoup d’individus, même sans être officiellement reconnus intersexes, ne correspondent pas aux caractéristiques classiques des deux sexes prédéfinis par la médecine.
Le pouvoir médical décide donc arbitrairement de ce qu’est le sexe, des caractéristiques qui le déterminent et le définissent et de fait, est devenu le garant de la différence des sexes.
Cette étude de l’intersexuation permet donc de déconstruire assez aisément cet argument de la soit disant naturalité du sexe et de sa binarité. Si le sexe est une construction sociale, il devient difficile d’affirmer que le mot femme « doit continuer de représenter la sexuation femelle ». Cette rhétorique est donc non seulement transphobe mais aussi intersexophobe et elle nie plus de 2% de la population mondiale qui est intersexe.
Finalement, défendre corps et âmes ces théories biologisantes et essentialistes en revient à aller à l’encontre du principe même du mouvement féministe, aller contre son constat fondateur, celui que Simone De Beauvoir a formulé ainsi :
« On ne nait pas femme on le devient ».
Revenons à notre tribune :
« Une femme trans, c’est-à-dire, un mâle (…) »
C’est ce qu’on appelle le mégenrage. Et c’est d’une violence inouie. Les personnes trans ne sont pas « devenues » hommes ou femmes, leur identité a toujours été celle du genre auquel elles s’identifient, simplement personne ne les reconnaissait ni socialement ni juridiquement dans leur propre identité
« La dysphorie de genre est un trouble psychiatrique »
Non, au même titre que l’homosexualité, on a longtemps considéré la transidentité comme une maladie psychiatrique, mais cela fait un moment déjà qu’une révision a été faite. Rappellons que l’OMS a retiré la transidentité de sa classification des troubles mentaux en 2019 et il en a été de même pour le DSM en 2008 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux des Etats-Unis).
De plus, la transition chirurgicale des appareils génitaux n’est plus obligatoire pour obtenir un changement de sexe à l’état civil depuis 2016 en France, ce qui a été une grande avancée pour la lutte des personnes trans. En effet, il était, avant 2016, obligatoire de réaliser une transition chirurgicale des appareils génitaux ainsi qu’une stérilisation forcée pour pouvoir réaliser un changement de sexe administraitf. Cette injonction à l’intervention chirurgicale est non seulement grave mais témoigne surtout d’une grande méconnaissance de ce que sont les identités trans.
En effet, bon nombre de personnes trans ne souhaitent réaliser aucune opération génitale. Cessons d’entretenir des stéréotypes sur ces transitions. Elles sont multiples et surtout intimes et personnelles. Elles peuvent être uniquement « sociales » et/ou « hormonales ».
Les personnes transphobes critiquent ces chirurgies sous prétexte qu’il s’agirait d’un acte qui serait « contre-nature » alors que ce sont en réalité les juridictions sur-pathologisantes et médicalisantes de la transidentité qui ont créé cette injonction aux chirurgies génitales.
Les identités trans sont plurielles : Certaines personnes ont besoin de ces opérations, elles peuvent représenter non seulement une nécessité vitale mais aussi potentiellement une forme de libération. C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’en favoriser et d’en faciliter l’accès.
En revanche, il est important aussi de comprendre qu’elles ne représentent pas une finalité pour toutes les personnes trans. Certain.es perçoivent ce moment de transition comme une période vouée à s’éteindre, comme un moment transitoire et d’autres le perçoivent comme un état permanent, un statut, comme une identité à part entière, constante et immuable avec ou sans modifications corporelles.
Ce que l’on appelle le « passing » au sein de la communauté trans, définit le moment ou une personne trans est identifiée par la société comme une personne cisgenre. Mais comparé aux idées reçues transphobes, le « passing » n’est absolument pas un objectif pour toutes les personnes trans.
Il est important de « démédicaliser » la transidentité, ou en tous cas de ne pas la percevoir uniquement à travers ce prisme réducteur.
L’argument de la détransition est aussi fréquent chez les personnes transphobes pour discréditer les transitions. Il n’est pas mentionné dans la tribune mais il m’apparaissait important de l’évoquer étant donné sa large récupération politique.
Plusieurs études ont déjà été réalisées sur le sujet. Elles montrent toutes que les cas de détransitions sont extrêmement minoritaires d’une part et expliquent que la majorité d’entre-elles sont souvent le résultat de violences transphobes. La détransition est donc instrumentalisée politiquement pour servir la transphobie alors que c’est bien cette dernière qui la plupart du temps la provoque. C’est le serpent qui se mort la queue.
Enfin, je ferai court sur la dernière partie de la tribune qui est à mon sens d’une absurdité et d’une abérration intellectuelle sans nom :
« Nous considérons qu’encourager des jeunes femmes qui ont du mal à accepter leur orientation sexuelle à transitionner relève de la thérapie de conversion»
Le Planning Familial pousserait donc les femmes lesbiennes à devenir trans, ce qui aurait pour conséquence de renforcer la lesbophobie sociale.
J’ai beau me creuser la tête, j’ai du mal à identifier un quelquonque intérêt à cette entreprise de thérapie de conversion trans.
Rappellons-le, il n’y a aucune corrélation entre l’identité de genre d’une perosnne et son orientation sexuelle. Ce sont deux choses totalement distinctes. Les personnes cisgenres ne sont pas toutes hétérosexuelles, il en va de même pour les personnes trans.
Ces « féministes » que l’on nomme communément « critiques du genre » défendent corps et âmes que l’identité de genre est une notion factice qui n’existerait ni dans la réalité sociale ni dans le droit.
C’est faux.
En France, c’est en 2016 que nous intégrons enfin la notion d’identité de genre dans le droit positif pour élargir les critères de discriminations (reconnaissance de la discrimination spécifique que vivent les personnes trans et/ou non-cisgenres).
Cette avancée juridique, bien que fébrile et insuffisante en France, n’en est pas moins essentielle.
Finalement, il serait intéressant que la France s’aligne sur un modèle basé sur l’auto-déclaration de l’identité de genre (gender-self determination) des sujets. On passerait ainsi à une forme de vérité juridique basée sur la subjectivité et l’auto-identification des individus plutôt qu’à une vérité basée sur un savoir médical arbitraire du sexe. Le droit à l’auto-détermination (ou à la non-détermination) de genre permettrait peut être de libérer les individus d’un carcan du sexe et du genre trop rigide, essentialisant et catégorisant.
Il apparaît évident que ce qui ressort également de cette polémique, au delà de la récupération politique de la droite et de l’extrême droite, est la grande inégalité en termes de visibilité et de puissance médiatique des féministes blanches et transphobes comparé au peu d’espace de parole accordé aux personnes trans pour parler de leur propre identité, de leurs opinions et de leur vécu.
On les appelle les « féministes ciritques du genre ». Un bel euphémisme qui permet de légitimer et de normaliser leur prise de parole haineuse et transphobe dans les médias. Ce courant (que je refuserai d’appeler féministe), est sans surprise un mouvement blanc, bourgeois, dangereux pour les droits des personnes LGBTQIA+, déconnecté des réalités sociales et refusant le principe essentiel de l’intersectionnalité, qui est sans doute l’un des piliers essentiel du féminisme.
Il est nécessaire de reconnaître qu’il est totalement différent d’être discirminée en tant que femme blanche qu’en tant que femme noire, de la même manière en tant que femme cisgenre qu’en tant que femme trans.
Je suis une femme cisgenre et de fait, je ne pourrais jamais comprendre ce que c’est que d’être trans, ce que vivent les personnes trans, je ne pourrais jamais savoir ce que c’est d’être victime de transphobie. Mais je considère qu’il est de notre devoir en tant que féministe d’essayer de se renseigner, d’essayer de se battre pour les droits des personnes trans et pour ceux de toute la communauté LGBTQIA+.
Le féminisme transphobe n’est pas un féminisme.
Le féminisme sourd aux problématiques intersectionnelles est un féminisme aveugle et égoiste.
Je soutiens de tout mon cœur le Planning Familial, censuré sans raison et en danger.
Je donne tout mon courage aux personnes trans qui vivent de plein fouet ce sursaut transphobe inacceptable, qui n’est malheureusement que le pic d’un iceberg bien ancré dans la société française conservatrice et anti-progressiste.
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